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La chronique de Florence

Certains font de l'art… Quand d'autres font du lard...

" Un tableau ne vit que par celui qui le regarde " (Pablo Picasso).

Il est à proprement parler fort difficile de s'intégrer dans une société d'expatriées sans un travail pour épanouir ses journées. Certaines y parviennent tout naturellement, d'autres pas.

La chaleur à Dubaï avoisinant les 40 degrés une bonne partie de l'année, il était de mon devoir de m'occuper intelligemment, je décidai de réaliser mes rêves de môme et de femme qui avait enfin le temps de faire ce que bon lui semble. Les filles, ça y est je suis une artiste ! L'art est en moi, mon inspiration n'a plus de limite, mon âme est envahie de couleurs, mon cerveau, un vaste arc en ciel. Sur une toile immaculée, je réinvente le monde en juxtaposant des nuances savamment choisies. Bref je crée, je peins. Certes, je n'ai pris que trois leçons de peinture. Certes, j'ai taché de mes doigts patauds quelques toiles. Certes, j'ai fait tomber mon chevalet quelquefois. Mais que voulez-vous, l'artiste peut-être brouillon, désorganisé, voire maladroit, il n'en résulte pas moins que seul le résultat final compte: et quel résultat !!!!!

Afin de vous satisfaire, je vais brièvement vous conter ma première leçon. Me voici dans l'antre de la création, et je devine au travers des toiles fixées au mur que l'enseignante a un talent fou. Quand je pense que moi aussi un jour je pourrai peut-être me figurer le monde en couleur sur papier grainé, je tressaille et tente de respirer convenablement.

Fort heureusement, il est prévu de s'étirer et de faire de grands arcs de cercle avec ses petits bras (toujours mous, la gym étant une vaste fumisterie) pour s'ouvrir au monde et se décontracter avant la mise en place derrière le chevalet. Je m'étire, décrivant des spirales avec mon cou d'une flexibilité à toute épreuve, ferme les yeux et respire tel Siddhârta tentant de convaincre ses fidèles. Prête !!!

Le but à atteindre ; l'esquisse d'une statuette représentant une étrange créature ambivalente (je tente d'imaginer ce que cette créature avec son sexe d'homme et son ventre de femme enceinte pourrait subir comme hostilité dans notre société!).

La langue pendante, je commence et m'applique à tenter de mesurer la profondeur, longueur et largeur de la statue afin de la représenter de manière proportionnelle sur ma toile. Des gouttes de sueur froide perlent déjà mon dos et de ma tête sortent des ondes électriques. Tous ces calculs avec pour seul moyen de mesure : un crayon ! Je quadrille ma page et commence mon esquisse.

Ouf ! Je m'applique avec ferveur tenant mon petit crayon bien serré entre mes doigts qui ruissellent déjà tant la concentration est forte. L'enseignante me dit qu'on peut gommer, chic ! J'ai le droit à l'erreur ! La gomme se nomme : "gomme mie de pain", cet aspect ludique me renvoyant l'image d'une belle miche chaude sortant à peine du four du boulanger, évoque à mon ventre un rappel proche de l'hystérie.

Je gargouille et tente de me concentrer. Je ne tiens pas mon crayon comme il se doit et la prof me met d'office l'objet pointu entre mes mains maladroites. Je finis par exceller dans l'art de la tenue de crayon et peut enfin accomplir mon oeuvre. Je trace, me recule, admire, râle, souffle, tente d'évaluer la ressemblance entre mon dessin et l'oeuvre de bois en face de moi.

"Tu ne devrais peut-être pas appuyer autant sur la feuille, essaye de libérer ton corps et d'effectuer des tracés légers, comme ceci." Elle effectue sous mes yeux ébahis deux courbes, et la perfection de son tracé me laisse bouche bée, même ses droites sont parfaitement droites! La prof a probablement subi une greffe de compas dans l'oeil et d'un double-décimètre dans la main! Les bras m'en tombent. Tant et si bien, que mon chevalet s'écrase littéralement face contre terre dans un fracas approchant l'atterrissage forcé d'un hélicoptère au sommet d'une villa de Jumeirah en pleine nuit. (J'ai ouï dire que l'hélico, constant dans ses allées et venues perturbait les habitants de ce charmant quartier).

Je finalise enfin mon dessin, mon esquisse maladroite ressemble au modèle et je m'extasie à nouveau comme une enfant fascinée par ses premiers gribouillages. Au passage, je scrute discrètement le dessin de ma camarade de gauche qui me semble proche de la perfection comparé au mien. Mais fière comme Artaban, je gonfle mon poitrail et m'exprime enfin: -"Je n'en reviens pas! Cela ressemble à quelque chose! Trois heures de lutte et la statue vibre presque sur mon papier tant elle parait réelle!"

Certes, le ventre semble plus proche de celui d'un être sujet à des problèmes d'aérophagie. Certes, les jambes paraissent avoir subi quelques malformations rhumatismales chroniques. Certes, la bouche (censée être pulpeuse et protubérante) tend à imiter le bec de Donald embrassant Daisy. Cependant mon regard d'artiste en herbe ne peut que s'extasier devant ce chef d'oeuvre dûment accompli.

Les filles, vous avez à présent face à vous, une artiste aux milles facettes, qui pof ! d'un coup, d'un seul, peut vous peindre une toile d'une féroce et lumineuse ingéniosité.

D'ailleurs, excusez-moi du peu, mais mon premier vernissage a eu lieu pas plus tard qu'hier, un franc succès pour tout vous dire! Personne ne m'a rien acheté, mais c'est la crise à Dubaï comme partout ailleurs mesdames, les gens réfléchissent! Et puis je ne fais pas cela pour l'argent mais pour la gloire uniquement!

Certes, mon vernissage s'est fait dans ma cuisine. Certes, mes éventuels acquéreurs n'étaient autres que mes enfants. Mais allons bon, je n'allais tout de même pas leur soutirer leur argent de poche! Un peu d'humanité que diable ! A ceci près que leur réaction m'a laissé un tant soit peu perplexe: – Alors mes chéris que pensez vous de mes peintures? – C'est beau maman ! Mais……. C'est koaaaaaaa ? Qui a décrété que la vérité sortait de la bouche des enfants ?

Voilà mes charmantes donzelles, vous avez le droit de contester mon art, mais le but dans tout cela n'est-il pas d'acquérir une identité artistique propre ? Voilà chose faite il me semble… Veuillez je vous prie effacer de vos minois ce rictus sarcastique, cela ne vous sied guère…

Biz les filles.

Flo

uneartisteenpuissance@dubaicolor.toile

Florence Gobin

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